samedi 5 décembre 2009

Couronne d'épine, corail et eutrophisation

Vous avez tous vu ou entendu parler de la grande barrière de corail. Vous savez aussi sûrement que la plus grande structure vivante du monde est en crise, notamment à cause du changement climatique et du blanchissement qu'il induit. Hé bien ce n'est pas son seul problème. Un nouveau, et pas des moindres, phénomène fait de plus en plus parler de lui depuis sa découverte dans les années 60.
En effet, devant les regards inquiets des nombreux touristes, qui déjà se pressaient pour admirer ce refuge de la biodiversité, un étrange envahisseur faisait son apparition : La couronne d'épine, (Crown of Thorns Starfish) une étoile de mer à l'apparence peu commode pouvant posséder de 7 à 23 bras et couvertes d'épines venimeuses.

La bête en question : elles peuvent avoir diverses couleurs et sont en fait, assez jolies

Malheureusement pour les coraux, cette étoile de mer a fait d'eux son unique source de nourriture. Pour s'en nourrir, elle s'enroule autour du corail et "crache" son estomac qui dissout, à l'aide des sucs gastriques, les polypes (petits animaux bâtisseurs de coraux), laissant derrière elle, des "cicatrices blanches". La couronne d'épines est caractérisée par un mode de vie cyclique. Elle fait ce que l'on appelle des "outbreaks" (c'est à dire une prolifération très importante), puis décline à cause de diverses maladies et par l'épuisement de son environnement. Le temps qui sépare deux outbreaks est une véritable accalmie pour le corail qui en profite pour se reconstruire.

Jeune couronne d'épines (Acanthaster planci) dévorant un corail : notez la différence de couleur entre le blanc (mort) et le jaune-vert (vivant)

Et c'est précisément là que se situe le problème. Les outbreaks de la couronne d'épines semblent de plus en plus fréquents et les cycles se superposent, ne laissant plus le temps suffisant aux coraux pour se remettre (15 ans pour les espèces les plus rapides). Aujourd'hui, un seul récif peut contenir jusqu'à 4 millions d'individus, et des centaines d'étoiles ont été observées sur des zones d'à peine 10 m². Et pour nous rassurer, une femelle est capable de produire quelques 50 millions d'oeufs en un an. C'est l'espèce invasive par excellence.
Ceci menace donc l'intégrité de la grande barrière de corail, et de tous les autres coraux tropicaux du monde, qui ont des rôles extrêmement divers allant de nurserie à petits poissons, à barrière naturelle contre l'érosion des côtes. Et pis, bien évidemment, ça menace le tourisme.

Plusieurs étoiles de mer sur un même récif

Que se passe-t-il donc? Qu'est ce qui provoque cet emballement des cycles de cet envahisseur? Il semblerait que, comme d'hab', ce soit de notre faute. Une des premières hypothèses émises fut celle du Docteur Robert Endean, mettant en cause la surpêche des prédateurs naturels de l'étoile de mer. En effet, relâcher la pression naturelle (prédation) qui s'exerce sur la population d'étoiles de mer, provoquerait une explosion de leur population. Cependant, bien que cette hypothèse ne soit pas mise de côté, il semblerait qu'elle ne soit guère suffisante pour expliquer l'intensité du problème.

Un Triton se faisant un petit gueuleton de la couronne d'épines

Une autre hypothèse fut émise par le scientifique John Lucas (University of Queensland) : celle de l'enrichissement du milieu.

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Petite parenthèse historique : Dans les années 20 et 30, l'agriculture fait un boom en Australie, on déboise à tour de bras les forêts pour les remplacer par des champs de canne à sucre, bananiers, et terrains pour les troupeaux. Depuis, les terres sont constamment fertilisées pour augmenter les productions. Avec quoi fertilisons nous les terres? Avec de l'azote et du phosphore, qui sont les nutriments essentiels à la croissance des plantes. Où vont ces nutriments? Dans les plantes, mais aussi dans les eaux, eaux qui se déversent dans les rivières, puis dans les mers et océans. Et ces déversements en nutriments sont tellement importants qu'on peut les voir du ciel. C'est ce qu'on appelle l'enrichissement du milieu.
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Et cet enrichissement provoque un phénomène dont on entend régulièrement parler : l'eutrophisation. C'est un phénomène décrit par la pullulation de plantes ou de phytoplanctons (bloom). Là vous vous demandez pourquoi je cause de ça alors que je parlais d'étoile de mer. Ben le lien est tout simple : les larves de l'étoile de mer sont des toutes petites choses qui flottent dans les eaux et se nourrissent de devinez quoi : de phytoplancton.

Diverses espèces de phytoplancton

A l'origine, les eaux autour de la grande barrière de corail sont un véritable désert marin. Elles sont extrêmement pauvres en plancton, ce qui en fait des milieux difficiles pour les bébés étoiles de mer qui meurent de faim à un taux proche de 99% (la première année) dans les conditions normales. Or nous, avec nos nutriments déversés par millions de tonnes, on crée de véritables nurseries à étoiles de mer, dont le taux de survie et la rapidité de développement se trouvent augmentés de façon tout à fait significatives. Les cycles s'accélèrent, leur nombre augmente, et patatra. Aujourd'hui, les preuves confirmant cette hypothèse sont pléthores et expliquent de façon très claire les outbreaks et leur intensité.

C'est une démonstration tout à fait impressionnante et lourde de conséquences de nos méthodes agricoles agressives et du peu d'intérêt que nous portons à nos déchets.
Pour une fois que l'on voit à travers la surface, les gens seront peut-être plus prompts à réagir, mais il faut savoir que les problèmes dûs à l'enrichissement du milieu côtier sont plus nombreux que ce dont on veut bien nous parler. Par exemple, en ce moment, je travaille sur un projet sur les phytoplanctons toxiques, responsables tous les ans d'intoxications alimentaires dues à l'empoisonnement des coquillages et poissons. Devinez quel est l'un des facteurs de leur présence et récurrence ? Bingo : l'eutrophisation. De même, regardez les plages couvertes d'algues vertes : même problème.
En bref : la mer et les océans ne sont pas des dépotoirs, et il faut se rappeler qu'ils représentent un régulateur naturel qui rythme nos vies de tous les jours. Il serait temps d'y faire un peu plus attention !
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Références :

Jon Brodie, Katharina Fabricius, Glenn De'ath, Ken Okaji. Are increased nutrient inputs responsible for more outbreaks of crown-of-thorns starfish? An appraisal of the evidence. Marine Pollution Bulletin, 51 (2005) 266-278.

Katharina Fabricius. Effects of terrestrial runoff on the ecology of corals and coral reefs: review and synthesis. Marine Pollution Bulletin, 50 (2005) 125-146.

Discovery Chanel : Crown of Thorns Starfish Monsters From The Shallows (2004)