samedi 20 février 2010

Infectobesity

1 Milliard, c'est le nombre d'adultes en sur-poids estimé dans le monde. 300 millions d'entre eux seraient obèses. Chez les enfants de moins de 5 ans, le tableau est tout aussi effrayant avec 17.6% en sur-poids. Depuis le début des années 80 jusqu'à maintenant, la prévalence de l'obésité dans le monde, que ce soit dans les pays développés ou ceux en voix de développement, a littéralement explosé. On top of the list, on trouve bien sur nos voisins trans-atlantique Américains avec près de 30.6% de leur population obèse et 65.7% en sur-poids !

Ces chiffres sont bien sur un désastre pour la santé publique et l'obésité a été officiellement nommée problème de santé numéro un aux states en 2001 lors d'un meeting sponsorisé par l'American Society for Nutritional Sciences.


La question qui se pose alors est "Quelle est donc la cause d'une si soudaine et importante épidémie d'obésité?". Sachant que cette pathologie possède de multiples origines, aussi bien génétiques qu'environnementales, la question est difficile. Aucune des communes propositions, comme les changements de régime alimentaire, ou la sédentarité croissante, ne pouvaient expliquer à elles seules la rapidité de la prise de poids mondiale.
Certains chercheurs comme Richard Atkinson et Nikhil V. Dhurandar ont alors proposé une hypothèse pour le moins originale. Et si l'"épidémie" dont nous parlons en serait réellement une? Au sens viral du terme.

L'idée n'est pas neuve, en effet, en 1982 des chercheurs mettent en lumière pour la première fois un virus, le "Canine Distemper Virus" capable d'engendrer l'obésité chez des souris. Suite à cette découverte, 5 autres éléments pathogènes vont être accrochés au tableau des virus provoquant l'obésité chez les animaux infectés.

Deux souris, dont une obèse, sauras-tu trouver laquelle?

L'un d'entre eux, SMAM-1, un adénovirus (virus à ADN) aviaire fut découvert suite à l'augmentation du taux de mortalité de poulets dans une ferme en Inde. Les chercheurs ont alors remarqué que les animaux contaminés possédaient beaucoup plus de graisse que les autres. De plus, les individus pouvaient se contaminer les uns les autres simplement par l'air. Pire, les humains présentant ce virus dans leur organisme présentait les mêmes symptômes.
Cette nouvelle, mettant à sac l'idée selon laquelle les virus aviaires ne pouvaient se transmettre aux humains, donna également une dimension différente aux 51 adénovirus qui peuvent nous contaminer. Parmi ces derniers, Ad-36, responsable majoritairement d'infection au niveau respiratoire, fut le premier à être examiné. Et les résultats furent plus qu'étonnants.

En effet, lors d'une étude sur 502 personnes obèses et non obèses, faite aux Etat-Unis, la prévalence du virus, c'est à dire la présence d'anticorps* contre ce virus dans l'organisme, était de près de 30% chez les obèses, et seulement de 11% chez les non-obèses**. Mais mieux que ça, l'indice de masse corporelle était significativement plus élevé chez les obèses et non obèses contaminés que chez les obèses et non obèses non contaminés (voir le tableau ci dessous).
En résumé, les gens qui ont été en contact avec ad-36, ou le sont toujours, présentent un poids et un taux de graisse plus élevé que les autres.

Tableau tiré de la publication [1] montrant les résultats de BMI en fonction de la présence d'anticorps.

Une étude sur des jumeaux a également été conduite, montrant que lorsque l'un des deux présentait des anticorps et l'autre non, celui ci était significativement plus gros que son frère sain. Tout ceci confirmant l'hypothèse selon laquelle l'adénovirus ad-36 pourrait être responsable d'une prise de poids et peut-être en partie, de l'épidémie mondiale d'obésité et sur-poids.

Encore plus mystérieux, il faut savoir que cet adénovirus fut découvert chez une jeune fille en 1978 et que le début de l'épidémie est datée de 1980. La coïncidence n'en est qu'une, mais laisse penseur.

Mais comment ça marche me direz-vous? Hé bien, d'après les études qui ont été conduites, il semblerait que ce virus favorise la différenciation des pré-adipocytes en adipocytes matures (voir la figure ci dessous). Pour tous ceux que je viens de perdre : la différenciation cellulaire, c'est le passage d'un stade cellulaire à un autre, et les adipocytes, ce sont les cellules responsables de la petite bouée que vous avez au niveau du ventre! Ce sont ces cellules qui stockent les graisses ! Et Ad-36, qui a la capacité de les coloniser, favorise leur maturation en cellules biens fonctionnelles, et augmente leur capacité de stockage et leur nombre. D'autres mécanismes ont été proposés, mais là c'est trop compliqué, et les 3 pékins qui sont arrivés à ce stade de l'article vont finir par me laisser seule avec mes histoires de gras.
Figure, ô combien superbe, que j'ai dessinée sous word puis collée dans paint (ouais, j'ai aucun skill en image et surtout, aucun matos). Bref, c'est très grossièrement ce qui arrive à une cellule immature quand elle est infectée par Ad-36 !

En bref, Ad-36, un petit virus supposé totalement inoffensif est peut-être, en partie responsable du plus gros (sans mauvais jeux de mot) problème de santé du 21ème siècle !! Mais cette découverte laisse aussi place à l'espoir. En effet, qui dit virus, dit vaccin ! Ceci pourrait éventuellement permettre de diminuer le taux d'obésité dans le monde.



Mais il reste clair, mes amis, que l'obésité, c'est aussi dû en grande partie à un mode de vie quelque peu décadent. On mange beaucoup, souvent mal, et surtout on bouge peu. Sachez que le sport est essentiel, pour maintenir la ligne, mais aussi améliorer considérablement votre santé et votre espérance de vie !
Ceci était un message du ministère de votre dévouée étudiante en sciences.
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* Les anticorps sont produits par le système immunitaire lorsqu'il rencontre un élément étranger, comme les virus. Ces anticorps, parfaitement spécifiques au virus qu'ils combattent, sont facilement détectables grâce aux méthodes de laboratoire. Donc lorsque l'on découvre un anticorps particulier dans un organisme, on peut en déduire qu'il est infecté, ou a été infecté par l'élément correspondant à cet anticorps.
**On peut noter que dans certains cas, le sérum ne présente pas d'anticorps (ils ne sont en tout cas, pas détectés) même si l'individu est contaminé : donc attention, la prévalence peut-être sous estimée !


Pour ceux qui sont restés sur leur faim, je vous invite vraiment à lire les articles que j'ai mis en source ! C'est très clair, mais ça s'adresse à un public amis avec l'anglais et surtout ayant un minimum de bases en biologie et physiologie.

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Sources :
  • Dhurandhar N, Atkinson R, and Ahmed A. Obesity of infectious origin – a review. Growth Genet Horm 20: 33-39, 2004.
  • Greenway F. Virus-induced obesity. Am J Physiol Regul Comp Physiol 290: R188-R189, 2006.
  • [1]Atkinson R. Viruses as an Etiology of Obesity – a review. Mayo Clin Proc. October, 2007 82(10):1192-1198; doi:10.4065/82.10.1192
  • Van Ginneken V, Sitnyakwsky L, Jeffery J. Infectobesity : viral infection (especially with human adenovirus-36: ad-36) may be cause of obesity. Med Hypotheses, 2009 doi:10.1016/j.mehy.2008.11.034.
  • «Fat Factors » by Robin MARANTZ HENIG in The New York Times (August 13, 2006)
  • L'OCDE en chiffres 2005. Un supplément à L'Observateur de l'OCDE
  • http://www.nature.com/ijo/journal/v32/n3/pdf/0803748a.pdf


12 commentaires:

  1. Et aussi

    * Lack of Evidence for the Role of Human Adenovirus-36 in Obesity in a European Cohort.

    * Adenovirus 36 seropositivity is strongly associated with race and gender, but not obesity, among US military personnel.

    :)

    Le débat n'est pas terminé...

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  2. Y a beaucoup d'obèses chez les militaires américains? Loool

    Sinon, je n'ai accès ni à l'un ni à l'autre des publis. D'après l'abstract du premier ils ont fait la même expérience qu'aux states mais cette fois les résultats sont non significatifs.

    Ca serait bien qu'ils fassent des études à plus grande échelle, car déclarer qu'il n'y a pas d'effet de Ad-36 en Europe avec une étude en Netherland et Belgium, c'est ce qu'on appelle une grosse extrapolation.
    Mais ça peut etre intéressant, si l'effet d'Ad36 est important, savoir qu'il n'est pas trouvé partout en même prévalence pourrait être un indice important pour la suite.

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  3. Oui, il y a pas mal d’obèses chez les militaires américains... (première réponse dans Googoo : http://www.asiaone.com/News/AsiaOne%2BNews/World/Story/A1Story20090211-121081.html)...

    C ’est un vrai problème pour l’armée ! (je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas réformés...)

    Je ne connais pas le sujet, je me suis contenté de jeter un œil dans pubmed... ce qui me surprend c’est que j’ai quand-même déjà assisté à quelques exposés sur l’obésité et son étiologie, et cette piste (qui a pourtant l’air de faire beaucoup parler d’elle) n’a jamais été évoquée... (au contraire de pistes complètement idiotes à la sauce « tout génétique »).

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  4. Mais c'est clair. Tu sais que moi j'en ai entendu parlé pour la première et dernière fois au recoin d'un reportage de la BBC sur l'obésité. Et le scientifique parle genre 2 secondes pour dire "des virus pourraient être responsables de prise de poids". Point et après il passe à autre chose. evidemment moi j'suis restée scotchée sur ça, vu que c'était complètement inédit !

    Après, je remarque que ce sont toujours les mêmes qui écrivent sur ce sujet (atkinson et dhurandar), c'est eux en majorité qui ont démontré les effets chez les animaux, et qui ont parlé du cas humain. Mais sinon c'est pas très exploité, ce que j'ai du mal à comprendre !

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  5. Oui, j’avais repéré ça aussi...

    Ça n’est pas si rare qu’une équipe qui a émis une hypothèse à un moment donné soit presque la seule à la défendre et à travailler dessus... et presque la seule à y croire ! — ce qui ne prouve pas qu’elle ait tort.

    Il faudrait regarder les détails des études, là j’ai un peu la flemme (mal au crâne, bronchite qui redémarre, et cours à préparer...). Qu’une association soit statistiquement significative ne veut pas dire que la facteur de risque ait un effet important.

    Par exemple : si 85% de la population est séropositive pour Ad-36, et 89% chez les obèses, avec une cohorte importante tu obtiendras une p-value très spectaculaire, mais avec des chiffres comme ceux-là il est clair que le facteur de risque en question n’explique pas « l’épidémie ».

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  6. Oui, clair, mais là il semblerait que la prévalence soit de 30% chez les obèses contre 11% chez les non obèses. Bon c'est pas non plus transcendant mais c'est pas mal. De plus l'estimation semble un peu biaisé par la méthode qui peut sous estimé la prévalence.

    Après il faudrait une étude sur le temps aussi. Vérifier pendant x années la séropositivité et la prise ou non de poids et faire une grosse analyse. Là ca serait vraiment informatif. Mais couteux !

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  7. C'est très intéressant comme hypothèse ça, ça me rappelle aussi un article de blog d'un autre membres du Café des Sciences (Sirtin : http://www.sirtin.fr/2010/01/18/quand-nos-bacteries-nous-font-grossir-ou-pas/ ) qui parlait de de l'influence de la flore intestinale.

    Avec des souris mince qui devenait obèse quand on leur remplaçait leur flore intestinale par celle d'une autre souris mais obèse.

    Ca fait plein de piste intéressante tout ça.

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  8. Ha ben tiens, j'ai failli faire un sujet là dessus aussi. Si ça vous intéresse Arterna, lisez donc l'article du New York Times "Fat Factors", ils parlent justement du sujet de Sirtin. Et c'est trop bien expliqué !

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  9. Cette hypothèse est la moins connue/répandue mais ça montre combien la question est complexe.
    Je ne suis pas expert et j'ai pas eu le temps de voir les papiers cités mais je me demandais si cette hypothèse ne pouvait pas être une conséquence plutôt qu'une cause ?

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  10. Je pense que Sam veut dire que l’infection par Ad 36 serait facilitée par le surpoids ou par un autre facteur associé au surpoids.

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  11. Oui c'est exactement ça Hervé. Mais bon, je ne suis pas spécialiste, c'est juste une question.

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