samedi 5 mars 2011

L'origine du Climate Gate ou le triomphe de la mauvaise foi

Suite à mon billet précédent dans lequel je vous faisais part d'un article passionnant publié par Claude Henry (professeur à la Columbia University) dans Le Monde, j'ai reçu un commentaire (accidentellement classé dans les Spams par Blogger) d'un anonyme fort mécontent de son contenu. Il s'agissait en grande partie de défendre la "Vérité Vraie" (légèrement inquiétant comme formulation, bien que rigolote) autrement dit que les "carbocentristes" (ça veut dire quoi ce qualificatif au juste??) mentaient tous et qu'en effet, l'Homme n'est en rien responsable du changement climatique actuel.



Au milieu des arguments du lobbying vert, la faible fiabilité du GIEC a été doublement mentionnée suite certainement au scandale du Climate Gate. Mais au fait, comment est né ce Climate Gate? Qui en est à l'origine? Et quelle est la légitimité de cet éclat médiatique?



Après le vol de nombreux mails échangés au sein du GIEC, et la publication de certains d'entre eux, un bloggeur au The Telegraph et romancier nommé James Delingpole a perçu une opportunité unique de se saisir de la question du climat et d'en faire son cheval de bataille. Selon ses propos la nouvelle "allait changer sa vie et certainement sauver la société occidentale de la plus grande menace qu'elle n'ait jamais connue". Auteur du terme "Climate Gate" et d'un nombre tout à fait conséquent d'articles, ardemment suivis et supportés par un grand nombre de climatosceptiques, il a fait l'objet d'une interview dans un reportage de la BBC "Science under attack" présenté par le nouveaux directeur de la Royal Society, Paul Nurse. Voici un extrait et la retranscription anglais/français de l'interview (00:59' à 2:46') :






-Paul Nurse : "One question I would like to ask is [..] are you looking mainly at pair reviewed material or non pair reviewed material? Pair reviewed material being material that in principal, flawed as it is, 'cause I know it can be flawed, has been looked at by other scientists and the case said "well there is an argument here worth publishing"



"Une question que j'aimerais vous poser est : Vous renseignez-vous majoritairement à partir de documents issus de l'évaluation par les pairs, ou à partir d'autres documents non évalués par des scientifiques? L'évaluation par les pairs étant un processus, bien que pouvant être biaisé, consistant en la vérification du travail de scientifiques par d'autres scientifiques, pouvant amener à publication dans les revues scientifiques si le papier est accepté." (Je refais un peu la traduction à ma sauce, vous m'excuserez!)



-James Delingpole : " Well, the main thing to have emerged from the climate gate e-mails was that the peer review process has been perhaps inredeemably corrupted, hu, what I believe in now and I think we're all seeing the shift in the way science is conducted or at least transmitted to the wider world, is a process called "peer to peer review". The internet is changing everything, what it means is that ideas that were previously only able to be circulated in the seats of acadim and in papers read by few people can now be instantly read on the internet and assessed by thousands and thousands of other scientists, people with scientific background and people like me with no scientific background, but are interested,"



"Hé bien, le principal élément qui a émergé des E-mails du Climate Gate est que le processus d'évaluation par les pairs a peut être été, de façon irrémédiable, corrompu. Ce en quoi je crois maintenant, et je pense que nous pouvons tous voir les changements dans la façon de faire de la science ou au moins comment celle-ci est aujourd'hui transmise à un public de plus en plus large, est le processus appelé "l'évaluation des pairs par les pairs" (-je pense que c'est un jeu de mot vis à vis du peer to peer-). Internet est en train de tout changer, ce que cela veut dire, c'est que les idées qui étaient seulement véhiculées entre académiciens et dans des revues lues par un nombre réduit d'individus peuvent maintenant être transmises et évaluées par des milliers et des milliers d'autres scientifiques, de personnes avec une formation scientifique ou encore des personnes comme moi, non scientifiques, mais juste intéressées."





-P.N. :Just get back to the evidence now, [...], probably publications are not your "thing"?"



"Revenons aux preuves maintenant, il semble que les publications scientifiques ne soient pas votre truc?"



-J.D. : "It is not my job to sit down and read pair reviewed papers, because I simply don't have the time, or the scientific expertise, I rely on people who have got the time and the expertise to do it and write about it, I am an interpreter of interpretations".



"Ce n'est pas mon travail de m’asseoir et de lire les revues scientifiques, simplement parce que je n'ai pas le temps, ni les connaissances scientifiques, et donc je m'appuie sur des personnes qui ont le temps et les connaissances pour le faire, et qui écrivent à ce sujet : je suis un interprète des interprétations".



-A savoir, durant l'interview, J.D. a expressément demandé l’arrêt de l'interview et a déclaré avoir été "mentalement violé" par P.N.-



En bref, l'auteur du Climate Gate ne s'est jamais intéressé au matériel scientifique qu'il critique avec tant d'ardeur et ne s'est pas plus penché sur ce qu'est le processus d'évaluation par les pairs. En somme, dans sa vision des choses, tout le monde, même sans connaissance du sujet peut se permettre de donner son avis et que cet avis fasse preuve. Or n'en déplaise à J.D., la climatologie n'est pas à la portée de tout le monde et il faut en effet un minimum de culture et de connaissances scientifiques pour lire et comprendre les articles des spécialistes. L'opinion personnelle d'un individu ne peut être considérée au même niveau que des démonstrations détaillées et basées sur des mesures et expériences scientifiquement menées.



Je pense vraiment que ce genre d'individu, qui tient parfois des propos accablants comme le fait que les homosexuels constituent une bonne manne financière, n'ayant pas d'enfant et donc beaucoup d'argent à dépenser, et qui base ses arguments sur ses opinions personnelles et non sur des faits, sont une source dangereuse de méprise et de discrédit de la Science.



Il me semble absolument fondamental de se renseigner avant de parler, ce qui est la base du raisonnement scientifique et de tout autre raisonnement fécond, afin d'avoir un débat juste et intelligent. En bref, à tous ceux qui doutent du climat, lisez les revues scientifiques, ou au moins des articles de journaux provenant de personnes qui s'y connaissent un minimum, et qui n'ont pas pour seul but le scandale et la provocation.



Edit : Parlons Sciences : J'indique une nouvelle fois le site : http://www.skepticalscience.com/ où toutes les questions émanant du scepticisme climatique sont traitées !

vendredi 4 mars 2011

Go Claude Henry !

Absente de la blogosphère depuis un petit moment déjà, je ne peux cependant pas m'empêcher de vous transmettre cet article du Monde, qui a ensoleillé ma journée de sa perspicacité, véracité, et humour.


A tous les "croyants" de la Science, cet article vous est particulièrement adressé ! Bonne lecture à tous :)





La terre serait-elle plate à l'Institut de France ?



Les professeurs Claude Allègre, Vincent Courtillot, et quelques collègues, ont créé un organisme dont une des missions est d'informer les Français que les activités humaines ne sont qu'une cause mineure du changement climatique. Ils souhaitent que l'Institut de France – qui regroupe cinq Académies, dont l'Académie des sciences – abrite cet organisme, lequel jouit déjà d'appuis significatifs dans certains milieux. Un bref détour par les Etats-Unis aidera à saisir les enjeux.


Il n'y a pas que les membres de la Société de la terre plate qui croient que la terre est plate. Une majorité d'Américains le croient. Si ce n'est pas littéralement, dans un même égarement scientifique, ils croient que l'univers n'a pas beaucoup plus de six mille ans, ou que le trou d'ozone est principalement dû à l'activité des volcans, ou encore que les activités humaines ne sont pas pour grand-chose dans le changement climatique. Ces croyances leur sont inoculées par de puissantes organisations, commerciales ou autres, par des organismes-écran d'apparence scientifique que ces organisations ont créés et financent généreusement, et par des porte-parole (dont certains ont de brillants antécédents scientifiques) adossés à ces organismes.


Il y a d'abord eu la planète tabac. A la base, on trouve ici American Tobacco, Benson and Hedges, Philip Morris, R.J. Reynolds… Ces entreprises ont créé le premier organisme-écran, sous un nom infiniment honorable : Alexis de Tocqueville Institution (François de la Rochefoucauld aurait apprécié l'hommage rendu, une fois de plus, par le vice à la vertu). Quant au porte-parole en chef, c'est un haut gradé de la science, Fred Seitz. Auteur de contributions importantes en physique de l'état solide, il a présidé pendant sept ans la National Academy of Sciences, et ensuite la prestigieuse Rockefeller University.


A sa retraite en 1979, l'industrie du tabac lui a confié, avec de gros moyens financiers, la mission de susciter des recherches et de mener des campagnes d'information visant à jeter le doute sur les résultats des études épidémiologiques qui commençaient à révéler la nocivité du tabac. En exploitant au maximum les effets de ce rideau de fumée scientifique, ainsi que des formes plus traditionnelles de lobbying, l'industrie du tabac est parvenue à repousser jusqu'en 2006 une condamnation de portée nationale, particulièrement infâmante quand elle est venue, il est vrai, car prononcée sur la base du Racketeer Influenced and Corrupt Organization Act.


Après le tabac, il y a eu les dénis des pluies acides, du trou d'ozone et même des dangers de la guerre des étoiles. Et maintenant, paraît-il, les hommes ne sont pas pour grand-chose dans le changement climatique. Nouveaux sponsors : Exxon Mobil, BP, Peabody (première entreprise charbonnière des Etats-Unis), Ford, General Motors, une demi-douzaine de producteurs d'électricité, d'autres encore. Nouveaux organismes-écran, aux noms toujours engageants : National Resources Stewardship Project, Greening Earth Society, The Advancement of Sound Science Coalition… Fred Seitz s'est encore engagé dans ce combat, ainsi qu'un autre physicien de renom à la retraite, Fred Singer, connu pour ses "bons" mots ("Les écologistes sont comme les pastèques, verts à l'extérieur, rouges à l'intérieur") et sa mauvaise foi dévastatrice.


Il y a aussi, notamment, le géographe Tim Ball, connu pour son "bon" sens ("Comment peut-on parler sérieusement du climat dans cinquante ans alors qu'on est incapable de prévoir le temps qu'il fera l'été prochain ?"). Et le maître manipulateur Frank Luntz, qui dans le Straight Talk Memo a rassemblé des consignes de campagne pour les candidats républicains aux élections de 2004, George Bush compris ("Si le public vient à croire que le débat scientifique est clos, ses vues sur le réchauffement global s'ajusteront en conséquence; il faut donc faire de l'absence de certitude scientifique un thème central pour entretenir le débat").


INTÉRÊTS PARTICULIERS


Et c'est bien l'objectif de tout ce monde : se saisir de la part inévitable d'incertitude que comporte une science traitant d'un système complexe (que ce soit le climat, le corps humain, une forêt tropicale, l'océan…), monter en épingle cette part d'incertitude, l'amplifier, la fabriquer le cas échéant, afin de discréditer – notamment au cours de débats médiatiques prétendument "équilibrés" entre "opinions" opposées – des résultats scientifiques qui valident des choix politiques dont ne veulent pas certains acteurs économiques ou politiques bien placés. Le doute est un moteur irremplaçable dans la démarche scientifique, mais manipulé et asservi à des intérêts particuliers, c'est un moteur non moins efficace de confusion dans le public et chez les responsables politiques et économiques. Ce moteur a remarquablement fonctionné : "Les activités humaines sont-elles la cause du réchauffement global ?" (Pew Research Center National Survey on Climate). Réponses : 50 % de oui en juillet 2006, 34 % en octobre 2010.


Jamais cependant les grandes institutions scientifiques américaines, comme la National Academy of Sciences ou l'American Association for the Advancement of Science (éditrice de Science Magazine), n'ont entrepris quoi que ce soit pour légitimer l'un ou l'autre des organismes-écran ou leurs porte-parole. A cet égard, il y a donc encore une marge d'innovation que certains semblent vouloir exploiter en France. Pourquoi ? Et pourquoi des scientifiques connus y poussent-ils ? Pourquoi ont-ils tué en eux la probité scientifique ? Pourquoi détestent-ils à ce point leurs petits-enfants ?


Même aux Etats-Unis, il ne semble pas que l'argent soit la motivation principale. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté psychologique pour une certaine génération de scientifiques et d'ingénieurs à accepter l'existence d'un accroc au progrès aussi monumental que le changement climatique. Et, au moins chez ceux qui se sont fait antérieurement une réputation enviable – en général dans des disciplines scientifiques fort éloignées de la climatologie – mais qui ont leur avenir scientifique derrière eux, il y a comme une volonté farouche de survie sous les feux de la rampe, un ego qui ne veut pas s'effacer.


Est-ce le rôle de l'Institut de France de soigner l'ego de quelques scientifiques de cette sorte en accueillant en son sein l'organisme-écran qu'ils s'emploient à développer pour proclamer que les activités humaines ne sont qu'une cause mineure du changement climatique et, pourquoi pas, que la terre est plate ? (Incidemment, comment traduit-on "Exxon-Mobil" ou "Peabody" en français ?)

Claude Henry, professeur à Columbia University, professeur honoraire à l'Ecole polytechnique, membre fondateur de l'Académie des technologies